En début d’année, Mayotte a connu une période de crise sociale. L’île a traversé six semaines de blocage. Il était difficile pour les habitants de circuler. Beaucoup ont subi les conséquences, y compris les élèves qui ont dû s’adapter pour suivre les cours. Nous vous proposons quelques témoignages d’élèves du lycée LPO de Dembeni.
« On a vécu comme pendant le Covid-19 »
Pendant une longue période, on a vécu comme pendant le Covid-19. Je ne pouvais pas me déplacer en dehors de mon village, et la nourriture se faisait rare. On devait tout le temps aller à Douka Bé. Pour le petit-déjeuner, on ne trouvait pas beaucoup de pain dans les boulangeries.
Pendant les barrages, comme on avait raté beaucoup de cours, les professeurs nous envoyaient des exercices que l’on devait rendre et qui étaient notés. Ces exercices étaient très difficiles à comprendre dans ces conditions mais je regardais, je cherchais et j’essayais. C’est finalement plus difficile quand on travaille à la maison, on a plus de temps mais il y avait beaucoup de bruits.
Pendant les vacances, j’allais parfois à la plage avec mes amis, on organisait des pique-niques, on allait nager un peu, ça faisait du bien de sortir.
J’allais aussi souvent chez mes cousins, on organisait des voulés en famille, tout s’est bien passé, de bons moments.
Ma belle-sœur venait d’accoucher, j’allais souvent voir la petite. Elle est vraiment gourmande, j’aime bien la tenir et ça offre un peu de repos à sa mère.
J’ai passé une partie de cette période sur Netflix, en regardant divers films et séries.
Quand les barrages ont commencé à s’ouvrir, j’en ai profité pour rendre visite à mon père, ma sœur et mon frère.
L. S.
LPO Dembéni
« Etre bloqué ensemble nous a rassemblé »
Pendant cette période, il ne s’est pas passé énormément d’événements de mon côté. La première semaine de barrages a été un soulagement car je n’ai pas dû aller au lycée. Mais le plaisir fut de courte durée. Dès le début de la deuxième semaine, nous avons été bombardés de devoirs. Néanmoins, j’ai pu réussir à travailler grâce au soutien de ma famille, ma mère, ma grande sœur et mes amis.
Il y a eu énormément de devoirs et cette situation m’a mise en grande difficulté, surtout sur les matières où j’avais déjà des lacunes. D’une part, des professeurs ont été absents ou avaient des difficultés pendant cette période et d’autre part, j’ai eu des difficultés à envoyer les travaux demandés. Heureusement ma classe a été très solidaire. Un grand nombre de mes camarades ont eu des difficultés pour se connecter aux sites Pronote et Néo, mais ils n’ont pas été mis à l’écart grâce aux différents groupes de travail où nous partagions toutes les informations liées aux cours et exercices.
De plus ma mère suivait de près ce que nos professeurs mettaient en ligne.
D’un côté plus personnel, les barrages m’ont permis de bien me reposer et de me ressourcer. Je pouvais dormir comme je le voulais, manger à l’heure avec ma famille. Je regardais toutes les séries que je n’avais pas finies, comme par exemple les Kdrama, des séries coréennes.
Etre bloqué ensemble nous a rassemblé. On a passé du temps ensemble, en jouant, discutant, en prenant nos repas ensemble (ce qui n’est pas une habitude) et aussi en suivant les actualités.
M. A.
LPO Dembéni
« Une expérience éprouvante et inoubliable »
Vivre durant les barrages à Mayotte a été une expérience inoubliable. Elle m’a énormément marqué sur plusieurs aspects. Cette période a commencé par des manifestations et des blocages routiers en réaction de l’insécurité et de la peur de l’abandon par l’État français. Ces barrages ont pris de l’ampleur au fur et à mesure du temps et très vite, ils ont paralysé l’île empêchant la circulation des personnes, des marchandises et créant des pénuries de produits primaires.
Dans ce contexte, ma vie quotidienne a été vigoureusement affectée. Les trajets pour se rendre à l’école et au travail sont devenus incertains voire très dangereux, en raison des attaques de coupeurs de route, sans oublier les affrontements et les barrages qui s’intensifiaient chaque jour.
Mon père, responsable commercial, ne pouvait pas se rendre au travail, idem pour moi, je ne pouvais pas aller au lycée.
Mes journées se répétaient sans cesse. Le matin avec mon père, on faisait des devoirs ensemble pour ne pas que je perde le rythme, ensuite je jouais aux jeux vidéos et je m’amusais avec mes frères jumeaux.
On profitait de ces moments pour partager des instants spéciaux ensemble. Pour la première fois depuis longtemps, on a regardé le Journal Télévisé de 19h en famille pour mieux être informé sur les barrages. Le moment de partage avec ma famille a été l’un des points positifs durant cette période difficile.
Malgré ces défis, cette période a également été marquée par des moments de solidarité et d’endurance. Ma famille et moi avons dû nous serrer les coudes pour surmonter les difficultés. Ces moments de partage et de solidarité ont renforcé nos liens familiaux et nous ont toutefois aidés à traverser cette épreuve ensemble.
Sur le plan personnel, j’ai dû faire preuve d’ingéniosité pour faire face à tous les défis du quotidien. J’ai appris à partager nos ressources avec nos voisins et à trouver des moyens créatifs pour économiser la nourriture et l’eau principalement.
Certes les barrages ont été une tempête soudaine et violente pour tout le monde mais comme on dit: «c’est un mal pour un bien!».
Les barrages ont mis en lumière les inégalités sociales, la violence que l’on subit depuis des années. Par ailleurs, cela m’a incité à m’engager davantage pour la justice à Mayotte et pour un changement positif.
J’ai eu l’occasion de voir les barrages sous mes propres yeux. Ce fut un véritable déclic. Les gens se donnent corps et âme pour ce qu’ils revendiquent sans négliger quoi que ce soit. Je ne suis pas resté longtemps mais le peu que j’ai vu m’en a beaucoup appris.
Vivre durant les barrages à Mayotte a été l’une des expériences les plus éprouvantes que j’ai connu en 15 ans d’existence. Cette période m’a appris l’importance de la solidarité dans une société et à l’adaptation dans les moments difficiles. Cela a renforcé ma détermination à contribuer à un avenir meilleur pour ma communauté et pour moi-même.
Maintenant, nous voilà, on a repris la vie normale. C’était un sacré combat. Pour faire réagir l’état français, il fallait employer les grands moyens. Tout ça n’a donc pas été organisé en vain. En espérant que la tranquillité et la prospérité règne une bonne fois pour toute à Mayotte!
Vive Mayotte!
A. S.
LPO Dembéni
« J’avais l’impression de vivre dans une boucle sans fin »
Les barrages ont commencé sur l’ensemble de l’île le lundi 22 janvier 2024. Sur mon tronçon de route jusqu’au lycée, il n’y avait aucun barrage, je me suis alors rendu en cours comme à mon habitude avec ma mère. Le lendemain, le lycée était relativement vide et les cours ont été banalisés dès 10h jusqu’à une période indéterminée. J’ai donc appelé mes parents et je suis rentrée chez moi sans savoir que c’était la dernière fois que je verrai le lycée avant un long moment.
Cette période, je l’ai vécue comme un confinement car je suis tout simplement restée chez moi. C’est ainsi que j’ai rapidement créé une routine pour ne pas décrocher au niveau scolaire. Les matins, je me levais à 8h, je faisais ma toilette et mes tâches domestiques jusqu’à 12h. Ensuite je préparais à manger pour moi et mon petit frère car mes parents continuaient de travailler. A 14h, je commençais à travailler et réviser les matières que j’étais censée étudier dans la journée. Toutes les 30 minutes, je m’accordais une pause de 5 minutes. Je finissais de travailler aux alentours de 17h30.
Cette crise m’avait mentalement touchée car j’avais l’impression d’être dans une boucle sans fin, bien que je m’en étais réjouie la première semaine. C’est quand les professeurs nous ont envoyé des devoirs que j’ai commencé à déchanter.
Au bout d’un mois, ma mère est partie en avion et mon père n’avait pas de temps pour nous. Il nous a alors envoyé dormir une semaine chez des cousins à Mamoudzou. On a dû passer deux barrages, celui à Tsararano et celui de Passamainty, comme un parcours du combattant. Une fois la semaine terminée, je suis rentrée chez moi avec ma mère qui venait de revenir de son séjour. Enfin les barrages se sont terminés, j’ai pu sortir quelques fois de chez moi car je ne pouvais pas laisser seul à la maison mon petit frère qui avait peur de sortir, à cause des violences à l’extérieur.
Bien que cette période fut compliquée, elle m’a permise de me retrouver avec moi-même, de développer et maintenir une autodiscipline qui me sera bien utile dans ma vie.
Mawa Maria Moindjié,
214, classe média
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