Tsingoni : quelle légitimité pour les Comités villageois de sécurité ?

Le 3 janvier 2019
tsingoni-quelle-legitimite-comites-villageois-securite

Conscient que la délinquance emmène fatalement la population à réagir, mais toutefois soucieux de conserver une certaine liberté de déplacement, le Comité des jeunes de Tsingoni a voulu en savoir plus sur le rôle des Comités villageois de sécurité. Qui sont-ils ? Qui les soutient ? Quelles sont leurs limites d’intervention ? Comment les différencier des conseils citoyens reconnus légalement ? Quelles relations ont-ils avec la police municipale ?…

Dans de nombreuses discussions à Mayotte, il est question de la violence quotidienne ! Cela fait des années que nous luttons pour résoudre ce problème, mais il n’y a toujours pas de changement à l’horizon. Alors, est-ce un combat perdu d’avance ? La gendarmerie et la police semblent dépassées par les événements… Entre les vols, les agressions, les bagarres…

Pour beaucoup c’est comme si la partie était déjà perdue. On dirait que même nos élus n’y croient plus ! Ils se rejettent tous la faute entre eux, et s’interrogent sur « qui est le premier responsable » de cette situation ? À qui la faute quand ça dégénère et ça s’aggrave au fil des années ?

Nous nous sommes donc demandés ce qui était mis en place pour lutter contre ce fléau et avons décidé d’enquêter afin d’en savoir plus… Entre traditions, modernité et culture du scandale, la société mahoraise évolue, mais cherche toujours comment répondre de façon efficace au problème des violences et de l’insécurité en général.

 

Les comités de sécurité : avantages et inconvénients

Parfois démunie, voir dépassée, elle peut lui arriver de se dédouaner d’une partie de ses responsabilités, jetant alors la faute sur les consommations excessives d’alcools, de chimiques, ou de bangués (drogues). Ces consommations illégales seraient, selon nos chers élus et certains de nos concitoyens, les principales responsables des causes de l’insécurité à Mayotte.

Pourtant, depuis quelques temps, on dirait qu’un nouveau mouvement, refusant toute fatalité, est en train de se lever. Il s’agit des comités de villages, associations composées principalement de mères et de pères de familles, qui se forment un peu partout dans les différentes communes de l’île.

 

Comment contrôler les dérives des comités lorsqu’il y en a ?

Leurs objectifs ? Mettre un coup d’arrêt à la violence. Ils veulent réussir là où, souvent, la police a échoué. Toutefois, ils sont aussi connus pour leurs méthodes radicales, et parfois contestées quand elles flirtent avec les frontières de la légalité, et qu’elles mettent en danger l’interpellé ou ceux qui interpellent.

Parce qu’il peut nous arriver quelquefois de nous demander si nous sommes vraiment en sécurité même en bas de chez nous, nous avons voulu interroger ces initiatives citoyennes que sont les comités de villages, et nous demander donc en même temps, si elles sont vraiment légitimes ?Nous sommes donc partis à la rencontre de ces fameux comités, et plus particulièrement celui de chez nous, à Tsingoni. Mais pour tenter d’y voir plus clair, et de comprendre au mieux les différentes problématiques sécuritaires de notre île, nous nous sommes aussi déplacés voir la police, ainsi que le conseil citoyen de notre ville. Nous leur avons posé nos questions.

 

Le Comité des villageois

« Là pour aider à lutter contre la délinquance »

Connaissant un ami, dont la mère fait partie du comité, il nous a semblé intéressant de partir à sa rencontre. Rendez-vous pris, nous nous sommes rendus chez elle et lui avons donc posé nos questions.

Chab’ : Est-ce vrai que les comités font justice eux-mêmes ?

Comité : Alors, non, les comités ne font pas justice eux-mêmes. Cela ne fait pas partie de nos revendications. C’est le rôle de la police municipale, et des institutions judiciaires en général de rendre justice, pas le notre. Même si souvent, il peut arriver à certaines personnes de fantasmer là-dessus.

Chab’ : Quelles sont alors vos missions plus précisément ?

Comité : Nos missions consistent essentiellement dans le fait de calmer les jeunes. De leur donner des conseils. Ils doivent avoir en tête que le respect est primordial, que cela passe avant toute chose. On les incite par exemple à arrêter le « bangué », et/ou les autres drogues. Puisque ce n’est pas bon pour leur santé et que cela les emmène souvent vers la délinquance et les pousse à commettre des délits. Ils peuvent voler, être violents, se bagarrer.

Chab’ : Et s’ils n’écoutent pas ? Que faites-vous ?

Comité : Alors on les fait peur !

Chab’ : Quelles sont vos missions exactes ?

Comité : Nous sommes principalement là pour aider à lutter contre la délinquance. Cela passe donc, pour nous, par les leçons de morales, ou encore par le fait d’aller à la rencontre des parents, pour discuter avec eux. On les alerte sur le comportement de leurs enfants, de la situation dans laquelle ils se trouvent. Pour nous par exemple, ce n’est pas normal quand nous faisons des rondes tard le soir, de voir un mineur trainer tout seul, ou même avec un groupe, dehors.

 

Le conseil citoyen

« Proposer des initiatives, des projets dans le cadre légal »

La première personne à laquelle nous nous sommes confrontés pour cette enquête fût Mme Charifia Abdillah, faisant partie de la municipalité de Tsingoni, et aussi de son conseil citoyen. Elle a donc commencé par nous expliquer en quoi consistait ce conseil et à définir son rôle, nous expliquant que « le conseil citoyen est une instance qui regroupe les habitants volontaires de la ville et qui a pour objectif d’améliorer la situation des quartiers les plus en difficulté. »

Pour cela, le conseil citoyen « propose des initiatives, des projets, en groupe mais surtout il offre la possibilité de décider main dans la main avec les élus de la ville, des différentes politiques publiques menées par nos élus ». Ces conseils sont assez récents, et ont vu le jour « après la naissance des comités de village ».

Le but était de mettre en place un cadre légal et organisé pouvant servir d’appui aux structures administratives déjà effectives, contrairement aux comités de village, qui ont vu le jour de façon spontanée, et dont on ne contrôle pas toujours tous les tenants et les aboutissants.

Il était important de pouvoir « lutter contre les dérives réalisées par certains comités depuis 2015 et de ramener les comités à faire les choses de manière légale : rentrer dans un cadre juridique en quelque sorte. Charifia, ajoute d’ailleurs que « notre cadre est mis en place par la préfecture. »

Aujourd’hui, la loi impose même qu’il y ait un conseil citoyen dans chaque quartier prioritaire. Chaque conseil est par ailleurs composé de deux groupes : « un groupe d’habitants du quartier, qui respecte bien la parité femmes-hommes, et un autre groupe d’acteurs du quartier, c’est-à-dire des associations, des commerçants, des médecins, ou encore des entreprises ou des établissements scolaires. »

 

La police municipale

« Ce n’est pas le rôle des comités de villageois d’instaurer un couvre feu »

Entre le comité de village et le conseil citoyen, tous deux désireux de lutter contre la délinquance des jeunes, il est légitime de se demander quel rôle joue la police ? Comment se positionne-t-elle entre ces deux entités ?

Les policiers nous ont ainsi certifié qu’ils ne travaillaient pas avec les comités. « Nous ne sommes pas payés pour les contrôler », assure l’un d’eux. En ce qui concerne l’instauration d’un couvre-feu au sein de la commune, la police nous a précisé ne pas « assumer le fait que le comité ait pu le faire, car d’une part ce n’est pas leur rôle, et d’autre part la loi ne les autorise pas à le faire. »

Quant à eux, personne ne leur aurait jamais demandé de mettre en place un tel dispositif de couvre-feu. « Nous avons des ordres précis à suivre, et cela ne fait pas parti de nos ordres justement. Nous sommes avant tout là pour veiller sur les jeunes qui sortent de l’école. » D’après eux, le maire n’a d’ailleurs jamais autorisé les comités à faire quoi que ce soit. « Le maire n’a même pas le pouvoir d’autoriser la présence de ces comités, qui devraient obtenir une autorisation de la préfecture. »

 

La conclusion des enquêteurs du Comité des jeunes de Tsingoni

Pour notre part, nous sommes partagés quant à la situation de la sécurité au sein de notre commune en particulier et de notre île en général.

Assia pense que « la situation va s’empirer car si les comités villageois commencent à frapper les jeunes et qu’ils jugent eux-mêmes les jeunes, ces derniers voudront prendre leur revanche et ça ne pourra donc pas vraiment s’améliorer. »

Soilaldine quant à lui estime qu’il « faut trouver une vraie solution durable car frapper, faire peur, ou même transgresser la loi ne sont pas des solutions qui pourront faire en sorte d’apaiser les tensions. »

Nazra, pour sa part croit que « la situation va changer et s’améliorer un jour, tout le monde devrait s’apaiser, et les jeunes changer un peu de mentalité. »

 

KALEL, ANDHOIRDINE, LIDAYANE, SOILALDINE, BACRI

Comité des Jeunes de Tsingoni

Quelle est votre réaction ?
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0

Partagez cet article !

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dans la même catégorie

✌️ Lire le dernier numéro